Lorsque le générique de fin commence à défiler à l'écran, je demande à Gabriel ce qu'il en a pensé.
– Je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas vu ce film plus tôt alors que j'avais le dvd à ma portée tout ce temps. Il va vraiment falloir que je me fasse un marathon des films de ce réalisateur, j'adore !
Je ris, c'est exactement la réaction que j'attendais, et je trouve la lueur d'excitation dans le regard de Gabriel particulièrement gratifiante. Voyant qu'il est déjà vingt heures, je suggère de sortir rejoindre Sara et Noée qui nous attendent déjà dans un bar du centre-ville.
– Les filles veulent qu'on se fasse beaux, dis-je en lisant le message de Sara.
Gabriel sourit et m'entraîne dans sa chambre pour me prêter des vêtements. Je me saisis d'un t-shirt noir assorti à mon jean et me recoiffe brièvement avec de l'eau.
– Tu devrais remettre du crayon noir, comme à la soirée de Julie, me conseille Gabriel. Ça t'allait vraiment très bien.
Je rougis légèrement, flatté, ne m'attendant pas à ce que mon ami se souvienne de ce détail, et accepte le crayon noir que Gabriel vient d'emprunter dans les affaires de sa mère.
– Ouais, ça met vraiment le doré de tes yeux en valeur. Ils sont vraiment beaux, tes yeux, continue Gabriel.
Je ris, mal à l'aise.
– Ok, ça suffit les compliments, je réponds, gêné.
Gabriel hausse les épaules en souriant et enfile une chemise. Je me surprends à penser que le bleu pâle de la chemise met en valeur le beau gris des yeux de mon ami. Oui, j'ai bien qualifié ses yeux de « beaux ». Après nous être tous les deux aspergés de parfum à la lavande, nous nous mettons en route vers le centre ville. En entrant dans le bar, je repère rapidement mes amies. En me voyant arriver, Noée me saute au cou, me complimentant sur mon maquillage.
– Bon, on ne vous a pas tout dit, confie Sara lorsque nous nous installons.
– C'est une soirée un peu spéciale, reprend Noée. C'est une soirée karaoké !
Les deux jeunes femmes rient aux éclats en voyant nos expressions surprises. De mon côté, je ne suis pas particulièrement dérangé par la thématique de la soirée, mais je redoute le moment où mes amies vont me forcer à chanter quelque chose devant tout le monde. Et je sais pertinemment que ce moment arrivera. Étant la seule personne majeure du groupe, je m'occupe de passer les commandes au bar. Le barman accepte de servir de l'alcool aux mineurs si un majeur s'occupe des commandes, ce qui est plutôt pratique pour nous, même si je doute que ce soit très légal. Sara me rejoint pour m'aider à porter les bières.
– Gabriel est vraiment beau ce soir, tu ne trouves pas ? me demande-t-elle avec un sourire malicieux.
Je me contente de lever les yeux au ciel, mais, au fond, je suis totalement d'accord avec mon amie.
– Ah super, on va en avoir besoin si on doit passer la soirée à brailler dans un micro ! dit Gabriel lorsque Sara dépose une pinte de bière devant lui.
Au fil de la soirée, je découvre une part de Gabriel qui me fait sourire. Ce dernier semble réellement s'intéresser aux autres, posant plusieurs questions aux filles pour apprendre à les connaître et les écoutant attentivement parler de leurs centres d'intérêt. Moi, je préfère me montrer plus réservé, comme à mon habitude. J'aime écouter les autres parler et observer les interactions. Aux alentours de vingt-deux heures, le barman installe l'équipement de karaoké et un groupe de jeunes femmes s'empare immédiatement des deux micros.
– Tu devrais chanter après elles, dit Gabriel en se tournant vers moi.
Noée et Sara soutiennent ses propos en hochant énergiquement la tête.
– Je ne sais pas si j'ai suffisamment bu pour ça, je réponds.
Gabriel saisit alors ma main et m'entraîne jusqu'au comptoir. Il demande des shots au barman qui semble avoir abandonné totalement la vérification de l'âge et invite Sara et Noée à nous rejoindre pour les boire ensemble.
– Ça devrait le faire maintenant, non ? demande Gabriel après que nous ayons tout bu.
Je suis contraint de hocher la tête, même si le stress commence à monter.
– Je vais chanter avec toi pour la première, me dit Noée.
Nous nous approchons de la personne qui gère la musique et Noée lui glisse à l'oreille sa demande. Les premières notes de What's up de 4 Non Blondes retentissent alors et la jeune femme m'entraîne vers les micros. L'enthousiasme de Noée me met plus à l'aise et nous nous égosillons ensemble sur la musique. À la fin de celle-ci, je me sens prêt à chanter seul. Je demande alors au DJ de passer Maybe I, Maybe you des Scorpions, chanson que j'ai fait découvrir l'année précédente à mes amies et qu'elles ont adorée. En chantant, certains souvenirs des moments partagés avec Andrea me reviennent en mémoire. Mais ils ne m'attristèrent pas, cette fois-ci. Je sens que j'ai peut-être réellement enfin tourné la page. Je souris en voyant les expressions émerveillées de mes amies et m'autorise, un instant, à croiser le regard de Gabriel. Les yeux de ce dernier pétillent. Il semble concentré, ses lèvres sont légèrement entrouvertes et s'étirent en un sourire lumineux. Troublé, je me reconcentre sur la musique, suivant les paroles à l'écran, même si je les connais par cœur. À la fin de la chanson, je rougis et me penche légèrement en avant pour saluer sous les applaudissements des personnes présentes dans le bar, puis retourne rapidement m'asseoir.
– J'espère que vous avez aimé, parce que je n'en chanterai pas d'autre ! dis-je en étreignant Sara qui m'attend les bras ouverts.
Alors que Sara se lance dans une conversation sur le livre que Noée et elle lisent, Gabriel se penche vers moi.
– Tu chantes super bien, toute cette émotion que tu nous as fait ressentir c'était... c'était vraiment incroyable, me dit-il en souriant.
Je murmure un « merci », devenant plus rouge que je ne le suis déjà, et me concentre sur la pinte que le barman vient de m'offrir en récompense de ma prestation.
Durant l'heure qui passe, j'observe mes trois amis partager des shots avec les personnes qui chantent tour à tour et, aux alentours d'une heure du matin, tout le monde semble bien alcoolisé. Nous décidons de partir avant de dépasser le seuil respectable. En rentrant avec Gabriel, je m'aperçois que ce dernier est plus ivre qu'il ne le laissait paraître au bar. Bientôt, je me retrouve à le soutenir pour qu'il marche droit. Arrivés devant la porte, il semble éprouver quelques difficultés à se saisir de ses clés.
– Elles sont dans ma poche arrière, me dit-il avec un sourire en coin.
Il glousse lorsque je glisse ma main dans sa poche, puis titube dans l'entrée avant de s'allonger sur son lit. Je l'aide à se redresser et à retirer son t-shirt. Gêné, je détourne le regard quand Gabriel retire son pantalon pour dormir en caleçon. Quand je me retourne, je suis surpris de voir mon ami se tenir proche de moi.
– Pourquoi t'es pas bourré, toi ?
– Parce que je n'ai pas autant bu que toi.
– Hmm, peut-être.
J'essaye de faire reculer Gabriel pour qu'il s'asseye sur le lit, mais celui-ci ne bouge pas d'un pouce. Je vois alors une lueur étrange que je ne connais pas briller dans le regard de mon ami.
– Dis, commence Gabriel en plantant ses yeux dans les miens. Ça fait quoi d'embrasser un mec ?
Je recule, perturbé par la question, et me braque.
– J'en sais rien moi, je lui réponds d'un ton agacé. Ça fait quoi d'embrasser une femme ?
– J'en sais rien...
– Bah voilà, arrête avec tes questions bêtes.
Sur ces paroles, je m'éloigne pour sortir de la chambre, mais suis arrêté avant de franchir la porte.
– Attends, s'il-te-plaît, me dit Gabriel.
Levant les yeux au ciel, j'accepte de m'arrêter et de me tourner vers mon ami.
– C'est juste..., commence Gabriel en posant une main sur mon bras. C'est juste que j'aurais aimé savoir ce que ça fait, de... de t'embrasser toi.
Je n'ai pas le temps de réagir que les lèvres de mon ami sont déjà contre les miennes. Je m'apprête à le repousser et à lui hurler dessus, mais je suis déconcerté par l’effet du baiser. Ses lèvres sont plus douces que je l'aurais imaginé et je me surprends à apprécier le baiser. Néanmoins, dans un éclair de lucidité, ma conscience me rappelle à l'ordre. Gabriel n'est pas dans son état normal et ne réfléchit sûrement pas à ses actes. Pour ces raisons, je m'efforce de le repousser, un peu à contre-cœur. S'ensuit un instant de silence pendant lequel nous nous fixons les yeux dans les yeux. L'étincelle qui brille dans le regard gris perçant de mon ami envoie des vagues chaleureuses dans le creux de mon estomac. Gabriel franchit à nouveau la distance entre nos deux visages, s’arrêtant tout proche du mien. Cette fois-ci, j'initie le baiser qui se fait plus fiévreux. Je sens la chaleur apaisante dans mon ventre se diffuser pour s'installer dans ma poitrine. Alors que mes lèvres autorisent celles de Gabriel à approfondir le baiser, je pose une main sur son ventre, le sentant frissonner à mon contact. J'ignore la tournure que prennent les choses, mais je sais que je ne voudrais pour rien au monde que le moment s'arrête. Mais, alors que je me concentre sur la sensation des mains de mon ami qui tirent doucement sur mes boucles, Gabriel rompt brusquement le baiser et recule de quelques pas.
– Je crois que je ne me sens pas très bien.
Le teint de Gabriel pâlit et, le voyant devenir blafard, je me saisis en urgence de la poubelle de la chambre, la tendant à Gabriel à l'instant où ce dernier est pris d'un premier haut-le-cœur. Après qu'il se soit vidé des excès de la soirée, je l'aide à s'allonger sur le lit, surélevant sa tête en ajoutant un oreiller. Je m'absente quelques minutes pour jeter le sac poubelle et apporter un verre d'eau à mon ami. Lorsque je suis de retour dans la chambre, je tends l'eau à Gabriel et pose une bassine trouvée dans la cuisine à côté de son lit. J'attends qu'il ferme les yeux pour me lever, commençant à fatiguer, moi aussi.
– Reste, dors avec moi, murmure Gabriel alors que je m'apprête à sortir.
Après quelques secondes d'hésitation, je reviens m'allonger sur le lit, aux côtés de mon ami, prenant soin de laisser une certaine distance entre nous. Alors que je me penche pour éteindre la lumière, Gabriel soupire avant d'enrouler sa jambe autour de ma taille, me verrouillant contre lui. Je n'oppose pas de résistance, constatant que le jeune homme s'est endormi. Je repasse alors l'épisode du baiser dans mon esprit. Je suis surpris d'avoir autant apprécié ce moment de tendresse. Je ne me suis pas autorisé à envisager ce type de relation avec Gabriel. À aucun moment je n'ai même imaginé qu'une chose pareille pourrait arriver entre nous et jamais mon esprit n'est allé réfléchir à une potentielle attirance envers Gabriel. Mais maintenant que le baiser a eu lieu, je ne peux oublier la sensation de ses lèvres sur les miennes, la beauté de son regard, juste avant de m'embrasser et les frissons qui m'ont parcouru lorsque ma peau a touché la sienne. Je me rends vite à l'évidence que Gabriel m'attire, ne souhaitant pas pour autant me voiler la face : je sais pertinemment que mon ami regrettera ce qu'il s'est passé et qu'il niera toute attirance. À vrai dire, j'ignore si Gabriel est réellement attiré par moi. Ce baiser a sûrement été pour lui un moyen d'expérimenter, sans plus. Un léger ronflement me tire de mes pensées. Je tourne tant bien que mal le dos à Gabriel, mais ne peux m'empêcher de me laisser bercer par le son régulier de sa respiration.6Please respect copyright.PENANA3wIa2dOaRR