Les rayons éblouissants du soleil me réveillent doucement. Le torse nu de mon copain repose contre le mien et je sens son souffle dans mon cou. Nous avons pris l’habitude de dormir ensemble lorsque les parents de Gabriel sont en déplacement. Plusieurs mois se sont écoulés depuis que j’ai décidé de porter plainte contre Claude. Ce jour-là, j’ai été entendu par deux policiers avec lesquels je suis resté au commissariat un après-midi complet. Devoir entrer dans les détails devant deux inconnus était particulièrement difficile et éprouvant. Leurs questions faisaient ré-émerger des images et je n’avais qu’une envie, m’enfuir en courant. J’ai cependant réussi à répondre aux policiers et j’en suis plutôt fier. Quelques jours après mon dépôt de plainte, la psychologue du commissariat m’a contacté, me proposant un suivi, et je la vois tous les quinze jours depuis. J’étais sceptique au début, ne voulant pas raconter une nouvelle fois mon histoire, mais la confiance s’est rapidement installée au fil des consultations. Nous travaillons surtout sur les symptômes traumatiques. Elle m’a beaucoup appris sur l’impact de tels événements sur la mémoire, le contrôle des émotions, l’humeur et les relations sociales. Nous avons aussi parlé de mes parents qui, après avoir appris pour Claude, ont choisi de prendre la défense de leur ami. À l’heure actuelle, j’ai fait le choix de ne plus leur adresser la parole jusqu’à obtenir des excuses de leur part. Lucía, elle, s’est montrée particulièrement à l’écoute. Je sens qu’elle culpabilise beaucoup de ne pas s’en être rendu compte par elle-même, malgré mon insistance pour la convaincre qu’elle n’aurait pas pu le savoir.
En ce qui concerne Claude, je suis toujours dans l’attente d’une reprise de contact de la part du commissariat. J’émets beaucoup de doutes quant à l’aboutissement en ma faveur de cette démarche, n’ayant pour seule preuve des faits mes souvenirs et mes symptômes traumatiques. Ces derniers s’estompent d’ailleurs de plus en plus et, bien que la psychologue m’aide énormément, je sens que l’écoute et le soutien de mes amis me portent particulièrement.
Sentant Gabriel se réveiller à son tour, je m’extirpe de mes pensées et passe une main dans ses cheveux. Il me sourit, le visage encore plein de sommeil et je l’embrasse tendrement sur la joue.
— Prêt pour aujourd’hui ? me demande-t-il avant de bailler.
Je réponds par l’affirmative. Aujourd’hui, nous récupérons les résultats du baccalauréat. Malgré de grosses difficultés à m’y préparer, j’ai confiance en mon travail et prie pour que Noée, Sara, Gabriel et moi obtenions de bons résultats. Les filles ont toutes les deux été prises dans la même université parisienne, Noée en psychologie et Sara en droit. De mon côté, encouragé par Gabriel, j’ai candidaté sur un coup de tête au Cours Florent pour me former à la comédie musicale. J’ai également été accepté en licence de musicologie afin de m’assurer un plan de secours. J’ouvre mes mails sur mon téléphone comme tous les matins depuis mon entretien avec les directeurs de la formation, mais constate avec déception que je n’ai toujours pas reçu de réponse. Gabriel, lui, se trouve en liste d’attente pour la fac de psychologie où Noée a été prise. Il en parle peu, mais je sens que cette position incertaine l’angoisse. Nous avons tous les quatre concentré nos vœux à Paris dans le but de vivre en colocation ensemble.
— Toujours rien ? me demande Gabriel en me voyant jeter nonchalamment mon téléphone sur le bureau.
— Non, un jour de plus à attendre.
J’essaye de ne pas le montrer, mais je me sens particulièrement angoissé. Je n’ai jamais su trop quoi faire de ma vie, pensant que je n’étais pas méritant. Mais la certitude qui est toujours restée, c’était que je voulais vivre de la musique. Ce n’est que lorsque mes amis m’ont parlé de la possibilité de faire des études spécifiques en comédie musicale que j’ai senti que, peut-être, une voie intéressante s’ouvrait à moi. Quand j’y repense, c’était ce qui m’attirait, petit, dans la musique. J’aimais les mises en scène, les costumes, les performances. La musique a toujours été mon moyen d’expression, et en la mêlant au théâtre, je ne vois qu’une possibilité de forte catharsis. J’ai conscience que cette formation ne m’ouvrira pas beaucoup de portes, mais je ne m’imagine que difficilement dans un autre parcours.
Les filles nous attendent sous un arbre à l’entrée du lycée, trépignant d’impatience. Plus je m’en approche, plus l’angoisse monte. J’utilise les exercices de respiration conseillés par la psychologue qui marchent particulièrement bien lorsque je suis envahi de souvenirs et de ruminations. En entrant dans le bâtiment, j’aperçois immédiatement la foule d’élèves agglutinés devant les panneaux d’affichage. Mon cœur bat à tout rompre et mes oreilles sifflent. Gabriel, sentant sûrement la détresse, me prend la main pour m’accompagner jusqu’aux listes.
— Trouvé ! s’écrit-il en montrant mon nom.
Je blêmis devant les termes « admis, mention bien », et sens les larmes monter. Je me tourne vers mon copain qui affiche un sourire béat. En regardant un peu plus bas dans la liste, je trouve son nom et ceux de nos amies.
— On l’a tous, je murmure d’une voix rauque.
Gabriel me prend dans ses bras et Sara et Noée se joignent dans l’étreinte en poussant de petits cris stridents.
— Il faut absolument qu’on fête ça ! dit Sara.
Nous acquiesçons tous et nous dirigeons vers le parc le plus proche pour profiter du soleil. Je n’arrive pas à réaliser que les choses se profilent enfin bien pour moi. Je consulte une nouvelle fois mes mails sur mon téléphone, voyant une notification en attente. Soudain incapable d’ouvrir le message, je tends mon téléphone à Gabriel.
— Lis-le pour moi, s’il te plaît.
Il se saisit de l’appareil et ouvre le mail. Je commence à paniquer en voyant ses sourcils se froncer, mais l’angoisse est de courte durée. Un grand sourire étire rapidement ses lèvres et il remet le téléphone dans ma main tremblante. Un seul mot retient mon attention : « admis ». Pris de court, je fonds en larmes, ne pouvant plus contenir l’émotion. Mes amis m’étreignent une nouvelle fois et je ne peux m’imaginer plus heureux qu’à l’instant présent.
Gabriel et moi ne nous éternisons pas au parc, souhaitant passer du temps ensemble, juste tous les deux, avant que ses parents ne rentrent. Sur le trajet, je ne peux m’empêcher d’admirer sa beauté. Le soleil donne une brillance à ses yeux que je n’avais pas perçue auparavant. Ses cheveux ont poussé et je découvre de belles mèches châtain clair qui ondulent souplement.
– Arrête de me regarder comme ça ou je vais croire que j’ai quelque chose entre les dents, me dit-il, gêné.
– Je ne peux pas m’en empêcher, t’es vraiment beau Gab, je ne te le dis pas assez.
Il sourit, le rouge lui montant aux joues, et s’avance vers moi pour m’embrasser. Une vague de chaleur envahit ma poitrine alors que mes lèvres rencontrent les siennes. Je laisse échapper un soupir, profitant de cette sensation qui m’enveloppe. Je me sens… fiévreux alors que Gabriel approfondit le baiser, laissant la pointe de sa langue glisser contre la mienne. Soudain, nous ne sommes plus que tous les deux dans cette rue, contre ce mur, et plus rien ne peut nous perturber. J’agrippe son t-shirt du bout des doigts, le collant contre moi. Je sens la chaleur de son corps irradier pour rejoindre le mien. Un bruit au loin nous sort de notre bulle et nous nous séparons de quelques centimètres, légèrement essoufflés. Je tends une main pour caresser sa joue, tendrement.
– On rentre ? dis-je, tentant de placer dans mon regard tout le désir que je ressens pour lui.
Gabriel hoche la tête et nous reprenons notre route, main dans la main, silencieux.
Lorsque nous arrivons dans sa chambre, l’atmosphère est soudainement agréablement électrique. Nous avons essayé au cours des derniers mois d’être intimes à différentes reprises, mais mes souvenirs me revenaient systématiquement à l’esprit, provoquant une angoisse difficile à apaiser. Aujourd’hui, pourtant, tout semble différent. La chaleur au creux de mon ventre diffuse des ondes de plaisir qui me feraient presque tourner la tête. Je suis envahi par le désir de ressentir la peau de Gabriel contre la mienne. Je m’approche doucement de lui, unissant nos lèvres à nouveau. Cette fois-ci, le baiser est immédiatement fiévreux et je ne peux retenir mes doigts de s’accrocher aux cheveux de mon copain. Ce dernier laisse échapper un gémissement étouffé et pose ses mains sur mes hanches.
– Je peux ? demande-t-il en montrant ma chemise.
Je hoche la tête, trop impatient de retrouver ses lèvres et le laisse déboutonner mon vêtement. D’un mouvement rapide, je laisse tomber ma chemise par terre et entraîne Gabriel vers le lit. Je l’aide à retirer ses vêtements à son tour et me colle contre lui. Son corps brûle contre le mien, ne faisant qu’accentuer la chaleur de mon désir. Je prends conscience de notre nudité, en plein jour, et me sens rougir légèrement. Je suis soudainement intimidé, mais en croisant le regard enflammé de Gabriel, mes doutes s’effacent immédiatement. Mes mains parcourent doucement son corps, en explorant chaque courbe et chaque texture de sa peau qui sent le gel douche et la lavande. Son bas-ventre réagit à mon toucher et je n’ai aucune pensée intrusive, aucune crainte. Mes yeux se noient dans l’océan gris de ceux de Gabriel et mon cœur fait des étincelles.
Je caresse le dos encore moite de mon copain du bout des doigts, reprenant lentement mon souffle. Il dépose une avalanche de baisers dans mon cou, tous plus doux les uns que les autres.
– Tout va bien ? murmure-t-il.
– Tout va très bien, je réponds, extasié. Si tes parents n’arrivaient pas dans l’heure qui vient, je recommencerais à l’infini.
– Mais c’est que tu peux être romantique !
– Attends de voir à quel point je le suis.
Je me lève, enfile mon boxer et un jogging qui traîne sur une chaise, et sors de la pièce. Je reviens une minute plus tard, ma guitare à la main, et m’assieds au bord du lit. Le regard intrigué, Gabriel se rhabille à son tour et s’assied sur la chaise, face à moi. Je commence alors à jouer quelques accords et observe son visage s’illuminer lorsqu’il reconnaît la chanson. Je modifie légèrement les paroles, désireux que mon message soit reçu par celui que j’aime.
“ Maybe I, maybe you
Can find the key to the stars
To catch the spirit of hope
To save my hopeless heart ”6Please respect copyright.PENANADbdKlCUqFQ