J’émerge aux alentours de six heures, avant la sonnerie de mon réveil. En descendant, je trouve Gabriel assis sur le canapé qu'il a déjà replié.
– T'avais raison, dit Gabriel. Je me suis endormi avant la fin du film. D'ailleurs j'aurais bien dormi plus longtemps, mais il faut que je passe chez moi avant les cours.
– Je peux te raccompagner en voiture, ma tante n'en aura pas besoin avant cet après-midi, je propose. On n'a qu'à partir maintenant, ça me laissera le temps de faire l'aller-retour.
Gabriel hoche la tête et rassemble ses affaires.
Durant le trajet retour, je ne suis pas tranquille. J'appréhende le cours de sport de l'après-midi, ignorant comment mon nouvel ami se comportera face aux attaques de Louis et Quentin. Je crains qu'il se défile, m'humiliant encore plus. Depuis le départ d'Andrea, j'ai beaucoup de mal à accorder ma confiance. Ça n'a jamais été quelque chose d'évident pour moi, étant de nature plutôt méfiante, mais l'agressivité dont j'ai été victime l'année passée n'a rien arrangé. Andrea a sûrement été la première et dernière personne avec qui je me suis senti moi-même. C'est la musique qui nous a rapprochés, et chaque émotion que j'exprimais lorsque je chantais avec ma guitare, je la lui dédiais. Mais les sentiments d'abandon et de trahison laissés par le départ d'Andrea ont étouffé tout désir de m'ouvrir à nouveau. Bien que je me sente proche de Noée et Sara et que je les aime de tout mon cœur, j'ignore si je saurai leur accorder un jour une confiance absolue. A chaque rencontre que je fais, j'imagine l'autre me trahir ou me blesser, et, mis à part avec Andrea, je n'ai jamais réussi à mettre ce sentiment de côté. Alors, en glissant mes affaires de sport dans mon sac, je me prépare à essuyer de nouvelles insultes sans que personne ne me protège.
J'arrive au lycée en retard et trempé. Il s'est mis à pleuvoir à ma sortie du bus et, ne souhaitant pas être plus en retard que je ne l'étais déjà, j'ai dû me résoudre à courir sous l'averse. En arrivant en cours, je vois qu'une de mes camarades s'est installée à sa place habituelle, proche de Gabriel. Ce dernier hausse les épaules, l’air désolé, en croisant mon regard lorsque je passe près de lui pour m'asseoir au fond de la salle. Les deux heures de littérature paraissent particulièrement longues. Je passe une grande partie du cours à regarder la pluie en imaginant les pires scénarios pour l'après-midi. Lorsque la cloche sonne enfin, je prends tout mon temps pour ranger mes affaires. En me levant enfin de ma chaise, j'aperçois Gabriel qui m'attend devant la porte. Surpris, je me dépêche de le rejoindre.
– Alors, commence Gabriel, tu t'es rendormi ce matin ou quoi ?
– Même pas, j'ai juste eu le malheur de réfléchir trop longtemps, je réponds en levant les yeux au ciel.
– Et à quoi réfléchissais-tu pour que ça te mette en retard ?
Je hausse les épaules, éludant sa question, et m'arrête devant la sortie de l'établissement, constatant qu'il pleut toujours. Je soupire en mettant la capuche de mon pull.
– Tu dois sortir ? me demande Gabriel.
Je lui réponds en lui montrant mes cigarettes et sors du lycée. Je suis étonné de le voir me suivre, couvert seulement d'une casquette.
– Tu n'étais pas obligé de venir, je comptais me dépêcher.
Gabriel me répond en imitant mon haussement d'épaules typique. Je souris et me dépêche de terminer ma cigarette pour retourner à l'abri. Lorsque Gabriel commence à se diriger vers le réfectoire, je l'informe que je ne pourrai pas l'y suivre.
– Je n'ai pas très faim de toute manière, lui dis-je. Vas-y et on se rejoindra après.
Gabriel revient rapidement de la cantine, avec un morceau de pain et une pomme. Lorsque je l'interroge, il me répond que lui non plus n'avait pas faim.
– Et puis je t'avoue que je ne voulais pas affronter les remarques de Louis et Quentin, confie-t-il. Ils n'ont toujours rien fait depuis que je leur ai dit la vérité pour la soirée et que je ne traîne plus avec eux, j'attends qu'ils me tombent dessus à tout moment.
Je me mords les lèvres. Je redoute moi aussi le moment où les deux garçons nous tomberont dessus, et le cours de sport semble être le moment opportun pour une vengeance. Lorsque je lui partage ma théorie, Gabriel émet l'idée de se changer aux toilettes avant le cours pour éviter l'étape des vestiaires.
Un quart d'heure avant le début du cours, nous partons donc nous changer. Je commence à sentir l'anxiété habituelle s'installer petit à petit dans mon ventre. Lorsque j'essaye de souffler pendant dix secondes pour me calmer, Gabriel m'observe, inquiet.
– Tout va bien ? Ne te stresse pas pour tout à l'heure, tu n'es plus seul face à eux désormais, me dit-il en posant une main rassurante sur mon épaule.
J'ignore s'il s'agit de l'effet du geste ou des paroles, mais je sens une chaleur légère m'apaiser en se diffusant dans ma poitrine. Troublé, je souris maladroitement et m'écarte, prétextant vouloir me laver les mains avant de sortir.
Lorsque le professeur de sport arrive, nous descendons directement au gymnase, passant devant Quentin. Je suis soulagé de constater que Louis ne semble pas être présent, mais je sens tout de même les regards pesants posés sur moi.
Il ne faut pas plus de dix minutes pour que le reste de la classe descende nous rejoindre. Une fois que tout le monde est rassemblé, le professeur distribue les dossards pour former les équipes. Pour s'échauffer, nous nous mettons à faire des tours de gymnase. Même si je fume, j'ai une bonne endurance et aime courir, si bien que je me retrouve rapidement, et sans le vouloir, en tête du groupe. Visiblement, Quentin est également un bon coureur, puisqu'il arrive à ma hauteur. Remarquant sa présence, j'essaie de ralentir, mais constate qu’il suit mon allure. Avant que ce dernier ne puisse tenter quoique ce soit, le professeur siffle pour mettre fin à l'échauffement. Cette fois-ci, il se charge lui-même de former les équipes, plaçant Quentin, Gabriel et moi-même ensemble.
Lorsque le match commence, mon nouvel ami et moi tâchons de nous tenir le plus loin possible de notre ennemi commun. Le jeu semble se dérouler normalement, et je suis soulagé d'observer que les autres membres de l'équipe n'excluent pas Gabriel comme ils m'excluent moi. Après quinze minutes de jeu, notre équipe mène le match de deux points et Quentin paraît trop concentré sur la victoire pour se soucier de ma présence. Je me contente de me positionner à des endroits stratégiques pour recevoir le ballon si quelqu'un se décide à me faire la passe, maintenant tout de même une distance de sécurité avec Quentin. Mais, alors que j'applaudis Gabriel qui vient de marquer un point, je sens une présence derrière moi et, avant de pouvoir me retourner, reçois un coup à l'arrière des genoux, me forçant à tomber en avant. Dans ma chute, je vois du coin de l'œil que le professeur est concentré sur son téléphone. Quentin se place alors devant moi et, m'agrippant par les épaules, m'envoie un coup de pied dans l'estomac. En essayant de retrouver mon souffle et d'ignorer la douleur, je me relève péniblement et tente de m'éloigner de lui. Gabriel, qui a assisté de loin à la scène, se précipite vers moi, encore plié en deux, pour s'assurer que je vais bien. En arrivant à ma hauteur, il est arrêté par Quentin.
– Alors, dit ce dernier, le club des tapettes a une nouvelle recrue ?
– Je te conseille sincèrement de rester loin de nous, lui assène Gabriel. Ou...
Il ne peut terminer sa phrase car le professeur, qui a visiblement fini de consulter son téléphone, s'approche de nous.
– Que se passe-t-il les garçons ? Ne me dites pas que vous êtes encore en train de vous battre !
Constatant que je suis visiblement mal en point, il me demande d'aller m'asseoir. Gabriel me rejoint et s'installe près de moi.
– Tu ne devrais pas t'asseoir là, Quentin va finir par te tomber dessus, je l'informe.
– Qu'il essaye, j'ai une stratégie qui le fera peut-être enfin s'arrêter.
En sortant du gymnase, trois quarts d'heure plus tard, j'ai complètement récupéré du coup que j'ai reçu et passe en boucle dans mon esprit une multitude de scénarios de vengeance. A l'arrêt de bus, comme à mon habitude, j'allume une cigarette et fais part à Gabriel d'un de mes plans. Ce dernier rit face à la précision de ce que je lui raconte.
– Au fait, mes parents ne rentrent finalement pas avant demain soir, dit-il après avoir consulté son téléphone. Ça te dirait de venir chez moi pour qu'on regarde enfin le film pour le dossier ? Tu pourras même rester dormir, on a une chambre d'ami.
J'accepte l'invitation et envoie un message à ma tante pour la prévenir. Une fois arrivés chez Gabriel, ce dernier s'empresse de me faire visiter la maison. Il termine par la chambre d'ami.
– Tu as même ta propre salle de bain ! me dit-il en souriant.
Il disparaît quelques secondes vers ce qui semble être sa chambre et revient avec des sous-vêtements propres, un short et un t-shirt qu'il me tend.
– T'as qu'à m'emprunter ça pour dormir. Je te propose qu'on prenne une douche et qu'on décide après de ce qu'on peut faire.
J'acquiesce et me dirige vers la salle de bain qui se trouve au fond de la chambre.6Please respect copyright.PENANA5ZUESssszo
En sortant de la douche, je vois que j'ai reçu des messages de Noée et Sara qui me proposent de sortir boire un verre dans la soirée. Je vais alors rejoindre Gabriel qui s'est installé sur le canapé du salon pour lui faire part de l'invitation.
– On n'a qu'à regarder le film maintenant, puis ensuite on les rejoint ? propose Gabriel. De toute manière, on a cours que l'après-midi demain, autant en profiter pour sortir.
J'adhère à la proposition et m'empresse de répondre à mes amies, qui semblent plus que ravies que Gabriel fasse partie des plans de la soirée. Après avoir trouvé le dvd et apporté des biscuits, Gabriel s'assied sur le canapé près de moi et lance le film. Je sors une feuille pour prendre en notes ce qui me semblera important pour notre présentation. J'apprécie les univers des films de Guillermo del Toro. J'aime l'opportunité que le réalisateur me donne de m'évader, sans oublier pour autant les problématiques dont ses créatures sont la métaphore. Mais, pour ce revisionnage, ce qui m'intrigue le plus est la réaction de Gabriel. Ce dernier semble captivé par le film et ne perd pas une miette de l'histoire. Je souris en le voyant froncer les sourcils à différentes reprises.
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